Bernard Grasset

Publication : novembre 2022 / Texte : Elian Da Silva Monteiro / Photo : © Julien Chauvet

La généalogie familiale est paysanne. On verra comment Bernard Grasset a rompu cet arbre, sans en renier les racines. L’histoire, la sienne, rattrapée par la grande, se poursuit sur l’avenue à son nom et au prénom de son père¹, Edmond, résistant rochelais, personnalité déterminante de son attachement à cette ville…

En 1943 j’avais 10 ans, j’étais placé chez une tante près de Bordeaux. Mon père faisait du renseignement pour les alliés. Ma mère est venue me chercher en septembre pour revenir à La Rochelle. En entrant dans la maison, on a vu que tout avait été fouillé. Elle m’a pris par la main et on est allés chez le voisin qui a dit « La Gestapo est là ! ». Ces imbéciles buvaient un pot au bistrot en face. On en a profité pour filer, gagner Paris. De là on m’a envoyé dans le Gers puis ç’a été Saintes en 44, et en 45 le retour ici. Mon père, lui, a été abattu par la milice le 8 mai 44 à Paris, trahi par un infiltré. Il venait d’être désigné Préfet de Charente-Maritime par le Conseil National de la Résistance.

Quel souvenir gardez-vous de lui ?

Le plus lointain, c’est de me trouver juché sur ses épaules lors d’une manifestation du Front Populaire en 1936. Et pendant le peu de temps que j’ai passé à Paris, en 43, comme il avait ses papiers de blessé de guerre de 14-18, les Allemands étaient vaguement respectueux alors on pouvait circuler… J’ai le souvenir des promenades avec lui dans les musées. Le dernier souvenir, c’est sur le quai de gare lorsque je suis parti pour le Gers…

Au-delà de cette paternité, qu’est-ce qui vous lie encore à La Rochelle ?

Toute mon enfance et mon adolescence. J’y suis resté jusqu’à la seconde, puis j’ai été envoyé à Paris au lycée Lakanal. Ensuite il ne s’est pas passé beaucoup d’années où je ne sois venu à La Rochelle. Ma mère y a vécu jusqu’à la fin de sa vie. C’est ma ville !

Qu’est-ce qui vous a conduit de la rue des Fagots à la haute fonction publique ? Vous êtes un pur produit de la réussite républicaine…

Ça oui ! Pupille de la Nation ! Et cette idée peut-être de dire « Mon père aurait dû être préfet, je serai préfet ! ». C’était un peu gonflé, mais bon… Donc après le deuxième bac je suis reçu à science po Paris et en droit, puis je passe le concours de la préfectorale. J’ai vu mon nom sur la liste… Je n’étais plus étudiant, j’étais devenu fonctionnaire ! Les postes se succèdent, au début dans les Ardennes et la Haute-Marne où il y avait quand même Colombey-les-deux-Eglises ! Après, la Guyane où j’ai remonté des cours d’eau que personne n’avait vraiment reconnus jusque-là (…) De retour en métropole, la direction centrale de la sécurité publique, puis les P&T à une époque où il fallait sortir du 5 à Asnières et accompagner ces mutations. J’ai été préfet à Lyon avec l’explosion des banlieues où je me suis fait ouvrir le crâne ; Barbie que je suis allé chercher à sa descente d’avion ! Plus tard Mitterrand m’a nommé Préfet de la Charente-Maritime. De là je m’attendais à avoir une petite région… Je me suis retrouvé à Nouméa, encore très agitée avec des kanak qui avaient été colonisés de façon pas très glorieuse. Puis j’ai été directeur général de la Police nationale. Passionnant, mais j’ai rarement dormi une nuit complète !

« J’ai été élevé à la lecture par Olga de Saint-Affrique qui tenait la bibliothèque. Elle apportait aux jeunes rochelais une autre ouverture sur le monde. »

À la retraite, point de retraite : vous entrez en politique…

Michel Crépeau m’appelle sur sa liste en 1995. Je suis adjoint mais deux ans après il y a dissolution parlementaire. Je me présente contre un député que je bats alors qu’il semblait inamovible… C’est comme en Guyane : Vous regardez une porte, elle semble parfaite, mais si appuyez du doigt, il passe à travers ! (rires). J’ai beaucoup travaillé au statut de la fonction publique militaire et j’ai été rapporteur d’une commission d’enquête sur le service d’ordre du FN où j’ai retrouvé un jeune homme… le neveu du chef de la milice en Charente-Maritime qui avait occupé notre maison !

En 2001 je me suis présenté à la mairie de Rochefort, j’ai été élu.

Qu’est-ce qui a porté ces succès politiques rapides ?

Ma carrière, je pense. J’ai été préfet, flic, militaire. Ça rassure !

Le troisième temps de votre vie, à quoi le consacrez-vous ?

Je suis un des derniers survivants des enfants de Résistants, je m’intéresse à tout ça, en essayant de ne pas tomber dans le folklore résistancialiste. Après, il y a la lecture, les voyages. Bientôt Venise ! Je pratique aussi la photographie. La photo minimaliste, plasticienne. Une bordure de trottoir est pour moi un sujet.

En ce moment vous lisez les souvenirs de Catherine Millet ?

Oui, où j’apprends qu’elle était de la bande de Courbevoie dont j’ai fait partie quelques années avant elle. C’était une petite bourgeoisie avec un vieux fond de russes blancs, la famille Poliakov, des garçons poètes… Nous étions de jeunes intellos qui ne se prenaient pas pour rien…

Quels sont vos endroits secrets à La Rochelle ?

Dans le roman L’amant sans domicile fixe de Fruttero et Lucentini, il y a un guide qui fait visiter Venise à une dame en l’amenant dans des endroits disparus. Pour moi La Rochelle c’est un peu ça. La Coursive, dans mon esprit, ça reste l’encan, le souvenir des marchands de « sans sel »². J’aime beaucoup aussi l’aire de jeu dans les parcs, je m’y balade tous les jours. Et la librairie ! J’ai été élevé à la lecture par Olga de Saint-Affrique. Elle nous apportait une autre ouverture sur le monde que nos professeurs un peu sclérosés.

C’est tout cela qui m’attache à cette ville et à ce pays, l’Aunis de terre et de marais…

1. Edmond Grasset, père de Bernard, lourdement blessé en 1917, fut un pilier du socialisme français. Durant l’occupation allemande, il anime Honneur et Patrie avec Marcel Deflandre, Libération-Nord, et le Parti socialiste clandestin. Entre autres actions majeures, il a fourni à Londres les plans de la base sous-marine de La Pallice ; a organisé des parachutages d’armes et les premiers groupes de résistants armés. En août 1943, il échappe de peu à la Gestapo, mais pas à la milice en mai 1944…
2. Les sardines « sans sel »