Tomáš Havel

Catégorie(s) : Ils ont séjourné ici

République Tchèque

Du 24 juin au 24 juillet 2024

Discipline

Traduction

Biographie

Tomáš Havel a traduit plus d’une soixantaine de livres, pour la plupart des romans, mais aussi des essais et des ouvrages de non-fiction. Ce qu’il recherche surtout, c’est la diversité dans les genres et la disparité territoriale et culturelle. Il entreprend la traduction de trois œuvres de la récente lauréate du prix Nobel de Littérature, Annie Ernaux, pour le compte de la maison d’édition Host (hostbrno.cz).

Notre rencontre avec Tomáš

L’art de se rendre invisible

La veille de notre rencontre, Tomáš est allé à vélo jusqu’au phare des Baleines, au bout de l’île de Ré. Une escapade sous le soleil dont témoigne, ce matin, son visage hâlé, avec pour fâcheuse conséquence que, devant nous, le traducteur n’est absolument pas invisible. Or, Tomáš lui-même a insisté à plusieurs reprises sur ce point, « un bon traducteur doit être invisible ». La traduction relève en ce sens d’un art abouti du camouflage : il faut investir le texte d’un autre sans que l’on vous y découvre, réagencer subtilement le paysage en faisant mine de ne pas y toucher. En rencontrant un traducteur, on espère donc se voir révéler quelques trucs un peu magiques, qui puissent expliquer l’alchimique secret du passage d’une langue à l’autre, d’une langue-source, en l’occurrence le français, vers une langue-cible, en l’occurrence le tchèque, sans rien céder au sens, au rythme, à la musique, à la beauté.

Les secrets que nous dévoilent Tomáš sont, en réalité, beaucoup plus prosaïques : traduire, c’est d’abord et surtout du travail, du labeur, des premiers jets « atroces », « des moments de peur, de doutes, de… [Tomáš cherche le bon mot sur son application de traduction automatique] … de détresse, de désarroi, de désolation. » Des affres nécessaires avant que ne commence ensuite un travail à façon, au plus près de la langue tchèque.

Tomáš Havel est un jeune traducteur, « à plein temps depuis 2017 ». Dans une autre vie, il a été stomatologue et dentiste, des métiers qu’au tournant de la quarantaine, il a commencé à trouver stressants, avec leur lot d’horaires, de pressions, de contraintes. Il est entré dans sa nouvelle carrière en ravivant sa connaissance ancienne du français, appris enfant à l’occasion d’une scolarité en Algérie, où ses parents médecins étaient coopérants dans les années 70. Il s’est formé sur le tard à son nouveau métier et compte aujourd’hui près d’une soixantaine de traductions, tant des ouvrages pratiques que des essais et des romans.

À la Maison des Écritures, dans le cadre de La Villa Bohêma, un nouveau programme de résidences entre la France et la République Tchèque, Tomáš est venu poursuivre la traduction de l’œuvre d’Annie Ernaux. « Mon éditeur m’a proposé de traduire Les Années et ce premier titre est sorti chez nous en septembre 2022, juste avant que l’écrivaine obtienne le prix Nobel. Cela a été un très heureux hasard, qui a rendu son œuvre très populaire. J’ai traduit Mémoire de fille, L’Événement et Le Jeune homme. Ici, je m’attaque à La Honte, La Femme gelée et Je ne suis pas sortie de ma nuit. » Naïvement, on imagine que « l’écriture plate » revendiquée par Annie Ernaux doit être plutôt simple à traduire ? « Pas du tout. Elle parle de son écriture comme d’un "non-style" mais sa "platitude" est en réalité très travaillée. Il n’y a pas un mot en trop, rien ne peut se cacher. Et comme tout est très référencé, il faut faire un gros travail d’adaptation pour rendre accessible à un lectorat tchèque l’ambiance de la France de la seconde moitié du XXe siècle. Pour ce travail de transposition, l’important est surtout de maîtriser sa langue : le texte-source, on peut toujours le comprendre avec un dico, mais le vrai enjeu, c’est de le restituer le plus justement. »

Pour l’heure, Tomáš affirme ne pas trop s’inquiéter de l’arrivée de l’intelligence artificielle. Si la machine est apte à livrer des premières versions littérales d’un texte, il apparaît que retravailler ces premiers jets demande pour l’instant au moins autant de temps que de partir du texte original. « Mais bon… il y a dix ans, nous n’aurions même pas abordé cette question. Alors peut-être que dans dix ans, la situation aura considérablement changé. »

À midi, le soleil inonde le bureau du traducteur et l’alchimiste va pouvoir opérer en pleine clarté. Dans le reflet de la feuille blanche, le voilà redevenu invisible.

 

Philippe Guerry

Projet de résidence

Cette collaboration s’inscrit dans la continuité de son travail antérieur avec cette auteure, ayant déjà traduit en tchèque quatre de ses titres : Les Années, Le Jeune homme, Mémoire de fille et L’Événement.

Date à retenir

Le 18 juillet à 18h30 : rencontre et échanges autour de la traduction, des oeuvres d’Annie Ernaux et de l’industrie du livre en République Tchèque. Evénement tout public.

Les partenariats

L'Institut Français de Prague

Česká centra / Czech Centres - Centre culturel de Prague

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