Réginald Louissaint Jr
Catégorie(s) : Ils ont séjourné ici
Haïti
Du 15 janvier au 16 février 2024
Discipline
Documentaire / Photographie
Biographie
Réginald Louissaint Junior est photographe et réalisateur haïtien, né en 1986 à Port-au-Prince. Après des études de linguistique, il se tourne vers la photographie et co-fonde le collectif de photojournalistes “Kolektif 2D”, dont naît la revue “Fotopaklè”. Son appétence pour le reportage et le documentaire le mène à des collaborations avec l'AFP, France 24, Washington Post, Médiapart ou Le Monde.
En 2018, après une expérience en tant que directeur de photographie, il décide de se lancer dans le cinéma.
Ses préoccupations pour les droits humains, la migration, et la violence faite aux femmes l’ont poussé à réaliser deux courts métrages et une série : «32 ans après», «Aller simple» réalisé à New-York et «Jiji et ses amis».
Notre rencontre avec Réginald
Par-delà les mères
Comme on a rendez-vous, on va bien trouver les mots. Ce pourrait être une définition de ce qu’est une résidence d’écriture : se donner rendez-vous pour trouver les mots.
Celui à qui Réginald Louissaint Junior aimerait bien donner rendez-vous, sur la durée de son séjour rochelais, c’est à lui, enfant. Réginald aimerait retrouver les mots de son enfance haïtienne, quand il avait huit ans, quand il assistait, sans vraiment le comprendre, au lent délitement de la relation entre ses parents. Il aimerait retrouver les mots qui disaient l’absence du père (même s’il était parfois bien trop présent), la présence de la mère, et la violence au milieu.
Il va falloir retrouver ces mots-là pour mettre en forme un récit à hauteur d’enfant. Réginald écrit le scénario de son premier court-métrage de fiction, une première dans une œuvre plutôt marquée par le documentaire et le photoreportage. Après ses études de linguistique (les mots, déjà), le jeune homme assiste, fasciné, au déferlement de photographes qui arrivent en masse pour témoigner du tremblement de terre qui vient de dévaster l’île. Il se forme au photojournalisme à Port-au-Prince, où il fonde le « Kolektif 2 Dimansyon » avec d’autres photographes, cinéastes, graphistes et rédacteurs. Il expose ses premiers reportages.
Réginald s’attache à montrer tous les outsiders, tous les opprimés d’une société violente encore largement dominée par les hommes : les paysans, les femmes, les enfants. Les images semblent résonner avec certains souvenirs d’enfance. « Pour moi, la photo était une arme » glisse-t-il l’air de rien.
Il voyage, expose à l’étranger, et une expérience de directeur de la photographie sur un tournage l’amène au cinéma. Il enchaîne deux documentaires, 32 ans après et Aller simple, qu’il diffuse tant bien que mal dans les espaces alternatifs de la culture haïtienne, « Quand tu créés en Haïti, tu milites par nécessité. » Entre ses films, il réalise de petites vidéos, dont une met en scène sa mère, qui entre-temps est partie aux États-Unis. Une migration géographique qui s’est doublée d’une conversion spirituelle radicale, ce qui interroge le fils, qui fait le chemin inverse.
Réginald sait que le court-métrage qu’il est venu écrire, qui s’intitule Ou, ce qui signifie « toi » en créole, a de grandes chances de déplaire à sa mère qui, même si elle a subit la violence de son mari, préférerait taire cette illustration familiale d’une situation malheureusement commune en Haïti. « J'ai beaucoup hésité à raconter cette histoire, mais ça dépasse de très loin ma mère et ma seule famille. C'est l'histoire d'une société patriarcale qu'il faut abattre.»
Pour l’heure, Réginald travaille sur les séquences de son film. Il lui fallait cette distance pour trouver le calme nécessaire à la mise en ordre de son histoire. Il espère avant de partir s’attaquer aux séquences dialoguées. Il aimerait retrouver les mots justes pour raconter l’absence et la violence d’un père, le sacrifice et l’errance d’une mère.
On se quitte. Réginald reprend le cours de sa résidence d’écriture. Il a rendez-vous avec l’enfant qu’il était à huit ans.
© Texte de Philippe Guerry
Projet de résidence
“OU”
Synopsis : "La mère de Junior, Julia, enchaine les petits boulots pour subvenir aux besoins de ses trois enfants, tandis que son mari, Ronald, passe son temps à boire et à claquer son argent dans les jeux de hasard. Une famille rongée de l’intérieur par les bêtises et les violences répétitives de Ronald mais que Julia tente de cacher à tout prix. Le comportement bienveillant de sa mère envers son père va amener Junior, l’ainé, à détester ce dernier beaucoup plus et implore sa mère de le chasser de la maison. Forcée par la misère, l’insouciance de Ronald face à ses responsabilités de père, Julia tente, clandestinement, à plusieurs reprises de partir pour les États-Unis et réussit à la septième tentative. Ce départ définitif laisse Junior dans une colère inouïe au point où un beau jour il décide d’empoisonner son père. Toute l’histoire se déroule à travers le regard de Junior qui n’a que huit ans."
Pour ce nouveau projet de création, Réginald Louissaint Jr. a le besoin et l’envie de raconter son propre récit, et ainsi d’entrer dans une quête cathartique de paix avec son passé. A travers cette envie qui se transforme en nécessité d‘écriture, Réginald replonge dans son passé, son enfance et les souvenirs des violences conjugales dont sa mère a été victime. Cette enfance tourmentée génère en lui une frustration croissante. Confronté à cette vie de famille en dualité ; un père présent physiquement mais absent affectueusement, et une mère absente physiquement mais fédératrice du foyer. En dédiant cette histoire à sa mère, Réginald Louissaint Jr. cherche à répondre à son entourage sur la haine qu‘il éprouve à l‘encontre de son père. En constatant les dégâts causés par le patriarcat sur la structure familiale et les enfants, ce projet se révèle être une thérapie par l’œuvre, la création et l’écriture.
© Julien Chauvet - ville de La Rochelle